Shihab Press – Le parquet près le tribunal de Bir Mourad Raïs a requis une peine de 10 ans de prison ferme à l’encontre de l’ancien conseiller chargé de la direction générale du protocole à la Présidence de la République, Mohamed Bouakkaz.
Selon le quotidien francophone El Watan, Bouakkaz est poursuivi pour “abus de fonction” et “enrichissement illicite”, des accusations liées à des biens acquis entre 2012 et 2018, ainsi qu’à une affaire de montres Rolex reçues en cadeau et revendues par la suite.
Le journal précise que l’ancien conseiller présidentiel a été placé sous mandat de dépôt le 11 octobre 2024 à la prison d’El Harrach, quatre mois après son limogeage en juin dernier.
Toujours selon la même source, Mohamed Bouakkaz, âgé de 45 ans, a comparu mercredi dernier devant le tribunal correctionnel de Bir Mourad Raïs à Alger, pour répondre aux accusations portées contre lui.
El Watan a révélé les détails de l’audience, qui a duré plus de trois heures, entre le juge, le diplômé de l’ENA Mohamed Bouakkaz, son épouse, et ses avocats. Ce dernier a nié avec véhémence l’ensemble des accusations.
Le juge : M. Bouakkaz, vous êtes accusé d’abus de fonction et d’enrichissement illicite. Que répondez-vous ?
Mohamed Bouakkaz (visiblement ému) : Monsieur le juge, je suis innocent ! Je n’arrive pas à croire ce qui se passe, je suis sous le choc. Pendant ma détention, j’ai sombré dans la dépression et je suis toujours sous traitement.
Le juge (l’interrompant) : Veuillez rester calme.
Bouakkaz : Je suis originaire de Bourouba, diplômé de l’ENA, j’ai 45 ans. J’ai dirigé le protocole à la Présidence de 2020 à 2024, après une carrière de 20 ans dont 12 à des postes élevés. Malgré une tumeur au cerveau en 2021, j’ai poursuivi mon travail avec abnégation. J’ai organisé le Sommet de la Ligue arabe en 2023 et celui du gaz en mai 2024. Ces accusations sont inacceptables.
Le juge : Quand avez-vous été démis de vos fonctions ?
Bouakkaz : Le 5 juin 2024. Aucune instance ne m’a convoqué avant mon arrestation. Ni la police judiciaire, ni le juge d’instruction.
Le juge : Parlons des montres. L’enquête mentionne cinq ou six Rolex que vous auriez reçues en cadeau, chacune estimée à 5 millions de dinars. Que dites-vous ?
Bouakkaz : Je ne me souviens pas de mes propos à ce moment-là. J’ai signé le procès-verbal à 4h du matin. Montrez-moi un seul article de loi que j’ai enfreint dans mes fonctions.
Le juge : Et l’accusation d’enrichissement illicite ?
Bouakkaz (à nouveau ému) : J’ai été interrogé cinq fois par les plus hautes instances : la Sûreté générale, le Premier ministère, les renseignements, et même la Présidence. Aucun élément compromettant. On m’a mêlé à cette affaire à cause d’un appartement à Oued El Karma. Si j’avais vraiment profité de ma fonction, j’en aurais plusieurs. Tous mes biens ont été acquis avec mon argent, et avec l’aide de la famille de mon épouse. Je recevais entre 20 000 et 30 000 euros par an en frais de mission. Cela ne suffit-il pas pour acheter des biens ?
Le juge : Et les 10 millions de dinars remis à votre ami Rouigli ?
Bouakkaz : Rouigli est un ami. L’argent était destiné à l’achat d’une voiture à son beau-frère, mais il a changé d’avis. Je lui ai rendu l’argent. L’autre somme appartenait à la famille de mon épouse, en préparation pour le pèlerinage. Il est d’ailleurs revenu sur ses déclarations devant le juge.
Le juge : Qu’en est-il de vos autres appartements ?
Bouakkaz : Le premier date de 2007, quand je travaillais à la wilaya. J’ai fini de le payer en 2009 et j’ai eu les papiers en 2016. Si j’avais abusé de ma fonction, je n’aurais pas attendu 10 ans ! J’ai aussi acheté un logement auprès de l’ENPI via un prêt aidé, que j’ai remboursé. Puis je l’ai vendu et acquis un autre bien pour 23 millions de dinars.
Un avocat : Et votre bien à Boumerdès ?
Bouakkaz : J’ai acheté une carcasse de bâtiment en 2010 après avoir vendu ma Dacia pour 1,4 million de dinars. Je n’avais pas les moyens de finir les travaux. Le terrain n’a été régularisé qu’en 2020. Je l’ai vendu ensuite pour 10 millions de dinars. Tout a été déclaré.
Le juge : Vous avez aussi souscrit au projet ENPI à Chévalley ?
Bouakkaz : Oui, en 2022. Mais les prix ont beaucoup augmenté, alors ma femme a vendu ses bijoux et nous avons sollicité un prêt de sa famille à l’étranger.
Le juge : Mais vous avez réglé en espèces ?
Bouakkaz : C’était une exigence de la banque. Nous avons retiré la somme du compte de mon épouse et payé directement l’ENPI. Ils exigent un reçu avec un numéro. La banque n’a pas refusé. Où est l’illégalité ?
Le juge s’adressant à l’épouse de l’accusé : Vous avez dit au juge d’instruction que votre mari a vendu les montres pour payer…
Épouse (l’interrompant) : Je n’étais pas au courant pour les montres. On m’a dit qu’il avait avoué, j’ai répondu “peut-être”. J’étais en procédure de khol’ (divorce islamique) et mentalement instable.
Le juge : Vouliez-vous lui nuire ?
Épouse : Je ne savais pas quoi dire.
Le juge : Et les 10 millions de dinars remis à Rouigli, vous appartiennent-ils ?
Épouse : Oui, ce sont des fonds de ma famille à l’étranger, pour le pèlerinage. Je ne voulais pas les garder à la maison.
Le juge : On a aussi trouvé 29 700 dollars et 4 000 euros chez vous.
Bouakkaz (ironiquement) : Ça me donne envie de rire. L’argent était dans les tirelires de mes enfants, avec leurs noms dessus. Les 2 500 euros et 1 500 livres venaient de leurs oncles et grands-parents en Grande-Bretagne. Je voulais leur apprendre à économiser pour leurs études.
Le juge : Et les 29 700 dollars ?
Bouakkaz : 19 500 provenaient du compte de mon épouse pour les frais de scolarité des enfants. Elle a vendu ses bijoux pour cela. Elle peut en témoigner.
Le juge : Avez-vous demandé à Rouigli de cacher de l’argent par crainte d’une enquête ?
Bouakkaz : Il a nié toutes ses déclarations. Il a dit qu’on l’avait arrêté avec l’argent dans sa valise. C’était pour acheter une voiture pour mon frère. Le reste appartenait à la famille de mon épouse.
Maître Chamaa (avocat) : Mon client est innocent. Le PV de police présente Rouigli comme un dénonciateur de corruption, mais il a tout nié ensuite. Mon client a été arrêté en octobre, quatre mois après l’ouverture de l’enquête en juin, détenu huit jours, puis accusé de vendre des montres sans qu’on identifie les acheteurs !
Maître Benhabylès (avocat) : Mon client n’a jamais reçu officiellement l’ordonnance de placement, ce qui viole la procédure. Le juge a écrit qu’il avait trois jours pour faire appel, mais cela ne lui a jamais été notifié.
Le juge : L’ordonnance est rédigée en quatre exemplaires, dont un est envoyé à l’administration pénitentiaire.
Benhabylès : Mais la copie destinée à l’accusé ne contenait pas l’ordonnance de placement.
Le juge : Avez-vous fait appel ?
Benhabylès : Mon client a fait appel depuis la prison. La chambre d’accusation n’a pas corrigé l’erreur.
Bouakkaz : Oui, j’ai moi-même introduit l’appel, mais rien n’a été mentionné dans la décision. L’administration ne parle pas, elle écrit.
Maître Allaik (avocat) : Le dossier est truffé d’irrégularités. L’article 123 bis du code de procédure pénale a été violé.
Benhabylès : Au lieu d’enquêter sur l’origine des fonds de Rouigli, qui possède aujourd’hui deux cliniques après avoir travaillé avec un wali délégué, on a emprisonné mon client sans preuve.
En juin 2024, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, avait mis fin aux fonctions de son conseiller chargé du protocole, Mohamed Bouakkaz, pour “fautes graves et manquements à l’éthique professionnelle”, selon un communiqué de la Présidence.